Je sais, vous vous demandez ce que le communisme a à voir avec l’Islam sachant l’aversion du premier pour toutes formes de religion, souvent persécutées sous les différents régimes communistes qui ont fleuri pendant la seconde moitié du 20ème siècle.
Ce n’est pas dans la forme ou le fond qu’il faut faire le rapprochement, plutôt comment aujourd’hui en France le terme islamiste est utilisé dans le débat public pour discréditer toute personne ou groupe dont les opinions sur l’Islam vont à l’encontre de celles de l’élite politique et médiatique. On assiste alors aujourd’hui à une sorte de fantasme autour d’un « péril vert » nourri par une islamophobie ambiante comme pendant le maccarthysme le sentiment anti-communisme nourrissait une « peur rouge » délirante.
Le Macquoi ?!
Pour tous ceux qui se sont endormis pendant les cours sur la Guerre Froide en Terminal en espérant avoir les cartes de géo comme sujet principal au Bac et qui ont aussi la flemme de chercher sur Wikipédia. Le maccarthysme du nom du sénateur américain Joseph McCarthy est une période de l’Histoire américaine caractérisée par la paranoïa vis-à-vis du communisme qui a entraîné une chasse aux sorcières au sein de l’administration, parmi les scientifiques, acteurs et même de simples civils soupçonnés d’être des agents communistes du fait de… Souvent rien si ce n’est que d’avoir des idées considérées trop à gauche ou juste de la pure calomnie.
« Oui mais je ne vois toujours pas le rapport avec la France d’aujourd’hui ? ». C’est simple dans les années 50 il suffisait d’accuser de communiste, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la vie sociale, la réputation, l’emploi, voire déclencher une enquête du FBI pour discréditer une personne. Tout cela sans avoir à apporter la moindre preuve.
Aujourd’hui, en France, sans que ce soit encore aussi dramatique, le mécanisme est le même. Il suffit d’accuser d’islamiste, d’islamo-gauchiste, d’idiot utile de l’islamisme et autres qualificatifs pour discréditer toute personne ou groupe qui ne participerait pas joyeusement à l’islamophobie ambiante avec, en corollaire, une vague de harcèlement sur les réseaux sociaux.
Retour sur une année de médiocrités
Je me souviens d’avoir commencé à écrire cet article en fin d’année 2017 suite à un enchaînement de polémiques sur un rythme un peu plus soutenu que d’habitude. Je n’ai jamais pu le finir, un peu par flemme, mais surtout parce que tenir la comptabilité du racisme ordinaire en France est un travail fastidieux et sans fin à un point où j’ai dû coupé mon article en plusieurs parties ; ici nous aborderons les cas du mois d’octobre à décembre 2017.
Le point de départ est le #MeToo movement qui fait suite aux accusations de harcèlement sexuel par Harvey Einstein ainsi qu’à la multiplication de témoignages à la fois d’anonymes et de personnalités qui s’en est suivi. Devant l’ampleur que prend le phénomène, comme l’explique le Professeur de Philosophie Thomas Schauder, cela relève d’un fait social et non pas seulement du comportement de quelques individus.
Le débat était donc devenu inévitable, comme en France on ne fait rien comme ailleurs, et au lieu d’avoir lieu sur le fond, il s’est dans un premier temps déplacé sur la forme. Certains rappelant à juste titre la présomption d’innocence, pendant que d’autres dénonçaient un climat de délation et osaient des comparaisons douteuses avec la dénonciation des Juifs pendant l’occupation allemande. On s’est vite retrouvé dans une situation hallucinante où les victimes sont devenues les mises en cause.
Seconde conséquence assez inattendue, depuis quelques années une certaine élite médiatique et politique nous a expliqué que les questions liées au sexisme, aux harcèlements et autres violences subies par les femmes ne survivaient que dans les banlieues et les quartiers difficiles et sont donc le fait d’une population immigrée et de leurs enfants. La conséquence était l’islamisation rampante de ces quartiers et que le voile en est le symbole politique le plus fort qu’il faut absolument combattre. Ce que monsieur Finkielkraut va dire sans détour et aussi dans une indifférence presque totale : #BalanceTonPorc ne serait qu’une excuse pour « noyer le poisson de l’islam ».
Autant dire que certains se sont réveillés avec la gueule de bois, surtout que leurs amis étaient directement visés par ces accusations. Il fallait donc réagir et c’est dans ce contexte qu’est arrivé l’affaire Tariq Ramadan, autant dire une bouée de sauvetage inespérée. A la poubelle la présomption d’innocence, Charlie Hebdo dégaine, Caroline Fourest enfonce en faisant le tour des plateaux. Surtout comme le sait tout un chacun, les musulmans en France ont signé un bail solidaire faisant d’eux co-responsables des actes de chacun de leurs 1,6 milliard de coreligionnaires ; ici, les faits avérés ou non, reprochés à Tariq Ramadan. On peut à nouveau faire le lien entre violences faites aux femmes, immigration, Islam.
Par un retournement de situation encore plus rocambolesque, le Directeur de Médiapart, Edwy Plenel, grâce encore à une autre une de Charlie Hebdo, s’est retrouvé au banc des accusés. Son tort ? Avoir participé à des conférences communes avec Tariq Ramadan, dit publiquement avoir de l’estime et du respect pour l’intellectuel. En réalité, on sait que la volonté derrière est de faire payer à Mediapart sa ligne, un pureplayer totalement indépendant souvent accusé «d’être des islamo-gauchistes ou idiots utiles de l’islamisme». Vous savez déjà ce que cela veut dire. S’en suit un échange violent entre les rédactions de Mediapart et ceux de Charlie Hebdo ainsi que de leurs soutiens respectifs dont une sortie à peine croyable du très mesuré Manuel Valls en soutien à Charlie Hebdo avec lesquels Plenel l’avait associé (à juste titre) de faire partie de ceux qui mènent une guerre aux musulmans. C’est ainsi que s’est terminé le mois de novembre et que commence en douceur le mois de décembre 2017.
#Valls chez Bourdin sur Plenel et Médiapart : "Je veux qu'ils rendent gorge, qu'ils soient écartés du débat public" Cette escalade verbale est inquiétante… pic.twitter.com/B4FEyFFX6w
— Nils Wilcke (@paul_denton) November 15, 2017
Surprise Motherf*ckers !!
On était en train de sortir difficilement de l’épisode Mediapart vs Charlie Hebdo que le Ministre de l’Education Nationale déclare au micro du Grand Jury être à titre personnel contre le port du voile des mères de famille accompagnant les sorties scolaires tout en reconnaissant que légalement rien ne s’y opposait. Au fond, la loi on s’en tape, on ne veut juste plus voir les femmes voilées dans l’espace public. Et puis dans un pays qui a eu un Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale, c’est une polémique, avec celles sur les menus halals à la cantine et la longueur des jupes pas assez laïques, qui revient presque pour nous faire patienter jusqu’au prochain n’importe quoi, qui va arriver très vite et d’une manière assez inattendue.
Le 5 décembre 2017, la France apprenait la mort de Johnny Hallyday. Un hommage national retransmis à la télévision lui est rendu quasiment dans la foulée le 9 décembre en présence du Président de la République et de nombreuses célébrités. Jusque-là rien de bizarre, enfin on peut quand même s’étonner de tout cela, mais là n’est pas le sujet. Au micro d’Elysabeth Levy le lendemain de l’hommage, Alain Finkelkraut , oui encore lui, déclare « Le petit peuple blanc est descendu dans la rue pour dire adieu à Johnny. Il était nombreux et seul. Les non-souchiens brillaient par leur absence ».
Au-delà de la méthode de comptage encore plus douteuse que celle de la Préfecture de Police lors des manifestations, il faut surtout s’incliner et reconnaître l’abnégation et le sens du devoir. Ne jamais perdre le nord, quel que soit le sujet, et faire en sorte de ramener le débat à son agenda politique et faire avancer son idéologie. Il réussit ici à le faire en plaçant une analyse racialiste de la société en parlant de l’hommage rendu à Johnny, chapeau l’artiste.
⚠️Pétition⚠️
L'Académie??incarne une certaine image de la France,pays des Droits de l'Homme&du Citoyen,de tolérance& égalité!
Alain Finkielkraut,académicien doit être exclu de l'Académie?? pour ses écrits& prises de position publiques racistes!
➡️https://t.co/qJ5jM5RkpI pic.twitter.com/I5HInMdtlc— ᴊᴜsᴛɪᴄᴇ & ғʀᴇᴇᴅᴏᴍ ғᴏʀ ᏢᎪᏞᎬsᏆᎥᏁᎬ ?? ❤️ (@Esmeralda78210) December 12, 2017
En face Madame Levy qui, bien loin de relever les propos, en rajoute une couche : «vous voulez dire que les banlieues n’étaient pas Charlie… Johnny ?». Un lapsus assez révélateur parce qu’il faut le dire, que depuis les attentats de 2015, les personnes non-blanches ou «issues de l’immigration», comme on le dit pudiquement, vivant majoritairement dans les banlieues sont devenues une sorte de 5ème colonne, ennemis de l’intérieur parce que certains ont eu l’audace de ne pas avoir été Charlie. Ce qui a automatiquement fait d’eux des sympathisants du terrorisme, des soutiens des frères Kouachi, alors que ce que beaucoup exprimaient c’est de pouvoir à la fois condamner les attentats du 15 Janvier 2015 sans pour autant adhérer à la ligne éditoriale du journal et se revendiquer Charlie. Le lendemain, Dominique Bussereau sur Radio Sud en rajoute en déclarant ne pas avoir vu «le peuple de Saint-Denis». Bref, la conclusion de cette séquence est de passer à la suivante qui est déjà en gestation.
Rokhaya Diallo, Yassine Belattar : objectif invisibilisation totale
Le 12 décembre 2017 est annoncé la liste des membres du Conseil National du Numérique, le CNNum pour les intimes, en soit un non-événement pour la majorité d’entre nous sauf que le diable se cache dans les détails. Parmi les membres du CNNum figure le rappeur Axiom et Rokhaya Diallo la militante antiraciste. Les deux ont pour défaut d’être à la fois «issus de l’immigration» et d’avoir à un moment ou un autre critiqué la France. Ce qui, aux yeux de la fachosphère, est un crime de lèse-majesté.
Ils lancent très rapidement les premières attaques sur les réseaux sociaux, rapidement rejoint par la Vallsophère, les laïcards extrémistes de « gauche » qui gravitent autour de l’ex Premier ministre, un long article à charge de Marianne (qui dans un premier temps a renommé Rokhaya en Rakhaya comprenez racaille), suivi par le Printemps Républicain ainsi que Valérie Boyer et d’autres membres des LR. D’ailleurs il faut remarquer que tout ce petit monde a de plus en plus tendance à travailler ensemble en parfaite symbiose, c’est beau !
Le 14 Décembre 2017, Mounir Mahjoubi, qui a validé les membres, revient sur sa décision et exclut Rokhaya Diallo au prétexte que le CNNum a besoin de travailler dans la sérénité. Ce qu’on lui reproche ? Pèle mêle de ne pas avoir été Charlie (comme quoi), de défendre le droit des femmes qui souhaitent de porter le voile (étonnant), d’avoir été proche du Parti des Indigènes de la République (PIR) et de Houria Bouteldja, mais principalement d’avoir parlé de racisme d’Etat, une notion tabou en France.
Le racisme d’Etat, très rapidement, c’est l’établissement de lois discriminatoires/discriminantes par un Etat sur la base de la couleur de la peau, de l’appartenance ethnique ou religieuse comme cela a été le cas en Afrique du Sud pendant l’Apartheid et aux Etats-Unis pendant la ségrégation. Mais encore, c’est là où ça devient plus délicat, un Etat qui produit des discriminations volontaires ou involontaires à l’encontre de certaines populations dans l’application des lois, par les institutions étatiques et leurs agents.
La France en tant qu’Etat produit-elle une discrimination entre ses citoyens ? Si oui, peut-on la qualifier de racisme d’Etat et comment faire pour y remédier ? Le débat existe depuis plusieurs années. Est-ce un délit d’être partie prenante et d’avoir exprimé son opinion ?
Le 19 décembre 2017, dans un rare moment de grâce et de dignité, Marie Ekeland ainsi que l’ensemble du CNNum démissionne. Quant à Rokhaya, son éviction a involontairement réussi à prouver que le racisme d’Etat en France n’était pas qu’une vue de l’esprit de quelques militants antiracistes financés par des milliardaires états-uniens pour importer le modèle communautariste anglo-saxon en France mais bien une réalité.
On finit sur le cas de Yassine Belattar qui est le cas le plus symptomatique. Le 15 décembre 2017, le journal Marianne (encore) sort un article au contenu mensonger sur Belattar. L’auteur de l’article a été pris la main dans le sac en train de modifier des propos de Yassine Belattar qui revient sur la fameuse question d’être Charlie ou non au micro de Bruce Toussain : « Je ne suis pas Charlie, je ne suis pas Nice, je suis français je ne choisis pas mes deuils » devenu sous la plume de Martine Gozlan en « Je ne suis pas Charlie, je ne suis pas Nice, je choisis mes deuils« . Pris la main dans le sac, car le passage était en radio et filmé, il y a bien eu une tentative pathétique d’explication. Loin de les arrêter, cela a au contraire marqué le début d’une longue campagne de harcèlement où l’on retrouve le Printemps Républicain, Manuel Valls, Valeurs Actuelles et bien d’autres encore et qui se poursuit aujourd’hui presque un an plus tard.
Au fond, qu’est-ce qu’ils reprochent à Yassine Bellatar qui est une personnalité assez consensuelle ? D’être un sympathisant des frères musulmans par-ci, antisémite par-là, ou encore homophobe plus loin, tout ceci sans preuves sinon ce n’est pas drôle. Mais le principal reproche est de ne pas partager leur point de vue sur l’Islam, leur vision de laïcité et qu’il faut donc évincer de l’espace public.
En conclusion
Ces trois derniers mois de 2017 sont en somme un concentré de ce à quoi je suis habitué depuis que je suis en âge d’observer l’actualité politique et sociétal de ce pays. On y retrouve les mêmes personnes aujourd’hui complètement décomplexées dans leurs propos, qui utilisent les mêmes procédés pour s’en prendre à ceux avec qui ils ne sont pas d’accord et ramener les mêmes obsessions aux relents xénophobes avec une régularité déconcertante. Le tout en faisant le tour des plateaux télés et des radios pour plaider de la bien-pensance à cause de qui « on ne peut plus rien dire« . Je ne vois pas ce cercle vicieux se briser de sitôt; bien au contraire, j’ai l’impression que le rythme s’accélère, les rares dans les médias qui osent encore tenir un discours en rupture sont harcelés et lynchés. Les élus et les politiques, au mieux, ne se sentent pas assez concernés et préfèrent jouer les autruches plutôt que de prendre un risque politique pour la suite de leurs carrières et/ou au niveau national pour leurs partis.
Au-delà des cas personnels, on observe surtout une volonté d’invisibilisation de toute une partie de la société, on a observé des attaques toutes aussi violentes ces dernières années contre Black M, Danielle Obono, Christiane Taubira, l’association Lalab… Les non-blancs pour exister publiquement doivent tenir un discours aseptisé, convenu, validé ou non-politique. Plus que jamais dans le pays qui passe son temps à donner des leçons au reste du monde et aime répéter à qui veut l’entendre être celui des Droits de l’Homme, la liberté d’expression est à carnation variable.