Chez les Kameleons ou dans les médias de manière générale, on parle souvent, voire beaucoup, de notre place, nous enfants d’immigrés, dans la société française. Ce qui l’en ressort de ces débats, c’est qu’il est difficile pour notre génération de se fondre dans la masse dans le contexte actuel et particulièrement de se défaire des préjugés dont nous faisons l’objet.
Mais on parle rarement ou jamais de notre place au bled, comment nous sommes vus, perçus, jugés par nos compatriotes le temps d’un été. Et ça commence très tôt !
De l’enfance à l’adolescence, c’est le flou total
Tout commença au bled, depuis mes premiers mots, lorsqu’à chaque été mes oncles et mes tantes, encore à l’aéroport, me posaient la WTF question la plus gênante du monde. Du haut de mes cinq ans je subissais déjà cette forte pression tel Atlas portant la Terre sur ses épaules : « Que préfères-tu, la France ou le Bled ? ».
Ouais j’étais un gros mytho à cet âge ! C’était en 1995, je me retrouvais à la fin du mois de juin dans un avion en direction du bled telle une punition. J’avais délaissé Dorothée, qui était à son apogée à cette époque, pour regarder des dessins animés en arabe dont je ne comprenais absolument rien sur la seule chaîne nationale ; qui servait également de journal intime au Raïs. Le lait était imbuvable, le yaourt était un mélange de lait et d’eau aromatisée à la banane. Mais le bled avait tout de même son charme avec ses traditions folkloriques, qui n’est qu’un souvenir aujourd’hui. Bref, revenons à nos moutons !
Que ce soit en France ou au village, il y toujours des bonnes et mauvaises personnes. Les mauvaises n’en rataient pas une pour te faire passer pour la grosse merde du village qui ne comprend rien. Car il faut le rappeler, la langue arabe est très métaphorique. C’est le sport national au bled de se foutre de la gueule des enfants d’immigrés qui ne manient pas aussi bien la langue qu’eux. Pourquoi un tel exercice ? Pour les mêmes raisons qu’en France les gens se moquent de ceux qui ne parlent pas très bien le français : c’est gratuit.
Le bon côté de cette histoire est que nous avions tout de même la chance de partir en vacances quelque part, de sortir de nos cités contrairement à une grande partie de ses habitants, d’aller à la plage quoi. Mais quand tu arrives au bled, les autochtones sont déjà bronzés, voire cramé, et à côté d’eux t’es blanc comme un cul. Là encore un sujet de moqueries.
« – Tu préfères la France ou le bled ? – Le Bled » mais cette réponse démontre bien que le mensonge est inné chez les hommes.
De l’adolescence à la vie adulte : confrontation aux premiers stéréotypes
À l’adolescence, tu deviens plus autonome, tu voles la mobylette du premier membre ta famille pour te balader. Ta mère qui, d’habitude surveille tes moindres faits et gestes dans la cité oublie que tu existes. Ton père ? Idem. C’est la liberté totale ! Un défouloir de deux mois et avec le temps tu apprends toute la rhétorique du bled, les répliques aussi vulgaires que futiles. Je suis devenu un boss de l’Arab Contenders ! C’est là également que tu rends compte que l’argent fait la différence avec les gens du bled. Tu te permets de faire des trucs qu’un smicard du bled ne peut même pas imaginer. Tu commences justement à ouvrir les yeux sur le monde et à voir que des gens sont vraiment dans la misère mais tu es en vacances, ça te passe au dessus.
C’est également à cet âge que tu vois tes compères, ceux qui sont nés en France et qui partent en vacance au bled, le statut du kéké de tèce. Ces mecs qui se prennent pour les rois du pétrole. Ce sont les premiers à se battre dans les boites de nuit, à mettre la musique à fond dans un village où en temps normal tu entends les mouches voler. On voit apparaître les premiers regards assassins des gens du bled vis-à-vis des enfants d’immigrés et comme en France « Tous pareil ».
À cet âge, on peut voir les premières rivalités entre les gens du bled et nous-mêmes. C’est la même rivalité que celle qui existe entre Paris et la Province. Cela suscite une certaine jalousie ou frustration de certains qui s’illustre par des clashs.
« – Tu préfères la France ou le bled ? – Le Bled » et tu le penses vraiment !
Comme en France, stéréotypes et préjugés
Le communautarisme existe aussi au bled. Oui les enfants d’immigrés, pour certains, préfèrent glander entre eux. Nombreuses sont les raisons à ce manque d’intégration. La première est qu’on a beau être originaires du bled… bah on a grandi en France et il y a donc un fossé qui nous sépare de ceux qui ont grandi au bled. L’humour n’est pas le même, les références culturelles non plus et surtout les manières de voir les choses diffèrent. Allez dire à un québécois qu’il a la même culture que celle d’un français et vous recevrez une bûche dans la tronche ! J’ai pas besoin de vous refaire un cours de philosophie sur cela, mais par expérience, nous ne sommes pas pareils et cela se voit et se ressent.
Apparaissent alors les stéréotypes, qui sont nombreux et ancrés, chez la plupart des gens du bled fondés tout de même sur une part de vérité et en voici une liste non exhaustive :
- Les enfants d’immigrés ne connaissent pas le bled ;
- Les enfants d’immigrés se prennent pour les rois du pétrole ;
- Ils vivent comme des SDF toute l’année en France pour déglinguer une centaine d’euros en été ;
- Ce sont des pigeons ;
- Ils n’ont pas un centime à la fin de l’été ;
- Ils n’ont pas été élevés à la dure ;
- Ils ne comprennent pas l’arabe.
Bref, tout cela pour dire que nous ne sommes pas de chez eux. Nous ne sommes pas marocains, algériens ou tunisiens. Nous sommes des « gawris » à leurs yeux ayant la vie facile. Même si t’es quelqu’un de normal, il y aura toujours un con, comme en France, pour te rappeler d’une manière pas très subtile que tu n’es pas vraiment de chez eux ou qu’il n’aime pas tes semblables mais qu’il t’aime bien quand-même. Merci pour cette considération.
C’est là que tu ouvres les yeux et que tu te dis : « on me dégaine la même connerie qu’en France, allez nique je vais aller à Bali cet été ». De leur côté leurs yeux sont également ouverts car eux-mêmes ont une réponse à la question WTF « la France ».
Le bled un nouvel eldorado des repats
Tu as bien compris qu’en France t’es pas français et au bled t’es pas du bled. Mais tu as également compris que l’argent est la langue commune qui fait oublier à tout le monde qui tu es et d’où tu viens et tes diplômes provenant d’un pays développé instaurent une forme de respect. Oui, l’intérêt du bled quand t’es adulte est d’investir ou de faire appel à tes compétences pour y travailler.
Car ton bled, entre le moment où les gens se baladaient à dos d’âne et aujourd’hui, il a évolué. Les pays de nos parents jouissent aujourd’hui d’une forte croissance qui fait pâlir la France. Aujourd’hui le yaourt est de la marque Danone, il y a la 4G et la fibre optique dans les villages ! Le bled fait de la brasse dans le bassin d’un monde globalisé. Tout le monde a compris qu’il y avait du biff à se faire là-bas en dehors du tourisme et tous les gens du bled ont compris que nous étions une manne financière importante. En Tunisie ils représentent 5 % du PIB, au Maroc 6,7 % et en Algérie 1,2 %.
Des projets de plus en plus importants font appel à des entreprises européennes qui, historiquement, disposent d’un savoir-faire incontesté et c’est là que notre double culture est une force. On a grandi en France, étudié en France et on connaît le bled. C’est un putain de vivier inestimable pour des entreprises qui mettent les pieds dans un pays qui était, jusque-là, inexistant dans leur portefeuille. Comme je l’ai dit précédemment, le bled se développe et il y a tout à faire !
Certains sont motivés par l’argent pour y aller, d’autres par l’amour de leur pays d’origine. Nous avons tous le rêve de voir un jour notre pays d’origine devenir un pays développé au même titre que la France. Nombreuses sont les initiatives des citoyens ayant la double nationalité en destination de leurs pays d’origine ; cela a commencé par des actions associatives et évolue aujourd’hui vers des Thinkthanks qui leur apportent une véritable plus-value. Ce sont des ambassadeurs ou plutôt des « citoyens de liaison » à la fois pour le pays où ils ont grandi et leur pays d’origine.
« – Tu préfères la France ou le bled ? – Je préfère la France pour les opportunités qu’elle nous a offertes et je préfère le bled pour les opportunités qu’il nous offrira ». Nous sommes la chaise sur laquelle s’assoient nos deux pays.