Un Sarcellois dans la jungle des Grandes Écoles

En ces temps polémiques où la question de l’intégration (again) refait surface, nous, Kameleons, voulons aborder un maillon essentiel en lien direct avec l’intégration et qui, à notre sens, n’est pas assez évoqué dans le débat public français : le rôle de l’école.

C’est un sujet bien large vous me direz ! Alors, c’est parti, plongeons dedans !

Tout commence avec le primaire et le secondaire qui déterminent déjà le niveau et les futures aspirations de chacun. Mais à travers cet article, il est question de débattre autour du lieu où se construisent les futures élites de la France, le lieu où un loser de naissance peut devenir le prochain PDG d’un groupe du CAC 40, enfin un lieu qui, pour un Kameleon, s’apparente à un nouveau monde où l’intégration justement reste une tâche ardue : bienvenue dans la jungle des Grandes Écoles.

L’époque collège et lycée : une grande école ? Euuuh c’est quoi ?

Quand, dès ton plus jeune âge, ton environnement te rabâche le sacro-saint « l’école c’est important », ou le paternaliste bienveillant « il faut travailler dur pour réussir dans la vie », tu ne comprends pas immédiatement l’importance des mots et du message. Non, toi tu es beaucoup trop occupé à finir la Ligue des Masters ou à sortir écumer les terrains de five de ta ville, avec une bouteille d’oasis tropical en guise de récompense ultime…le reste, les conseils des « grands » sur ton avenir ne t’intéressent pas outre mesure …

Les Flanades : centre à la fois commercial, culturel, sportif pour un adolescent sarcellois

 Arrive ensuite le temps où, vers l’âge de 10 ans, l’on te demande le métier que tu souhaites faire plus tard. Toi, naïf , innocent et bercé par la tendre douceur de l’insouciance, tu renvoies alors ce que te dicte ton inconscient… conditionné par les derniers dessins animés et derniers films que tu as pu regarder ou par ce que tu as pu scrollé sur les réseaux sociaux du grand frère : astronaute, pilote d’avion, chanteur ou pourquoi pas footballeur ( les nouvelles générations diront même influenceurs !).

Sauf qu’après arrive le collège, qui montre sous forme de préambule ce qu’est la « valeur travail », puis le lycée où ton goût du commerce de détail s’affirme : tu préfères alors vendre des paires de Nike Tn à Porte de Clignancourt pour gagner ta vie plutôt que de résoudre des équations du second degré ou absorber des cours sur la tectonique des plaques…

Le désenchantement commence à prendre effet et déjà ton avenir te questionne comme un « adulte » alors que les seules démarches administratives que tu as eues la peine d’entreprendre dans ta vie ont été de demander la bourse du CROUS et commander une carte Vitale. Soit, on doit tous passer par là vous me direz.

Tous ces éléments transcendent, à mon sens, les différences sociales et ethniques et affectent tous les jeunes adolescents de France mais doivent être expliqués pour bien situer le contexte.

Place maintenant au sujet qui nous intéresse tous.

Intégrer une grande école : ça y’est on y est !

Pour les plus courageux et les plus déterminés, ce sera médecine ou les classes préparatoires, déjà représentatives de la reproduction sociale et du tri qui s’effectue à mesure que l’on grimpe les stratifications de l’éducation nationale. En catégorisant de manière succincte :

  • SI la prépa fait partie du haut du panier et que le travail est au rendez-vous, une top école sera décrochée.
  • Si la prépa est plutôt moyenne mais que « l’œil du tigre » est en toi, et bien tu feras partie des quelques « élus » qui arriveront à atteindre le graal des élites….
  • Par contre si le niveau d’implication et de volonté se rapproche de celui de Ben Arfa en préparation d’avant saison, peu importe le niveau de la prépa, l’équivalence avec la fac de Saint-Denis sera ta meilleure amie.

Viens donc (enfin tu me diras) alors l’intégration dans la top école : HEC, ESSEC, ESCP, EM LYON, EDHEC pour certains ; X, Centrale, les Mines pour d’autres. Un ensemble d’individualités qui, n’ayons pas peur de tomber dans le cliché (pour le coup assez vrai), rassemble le haut du gratin français avec pour l’écrasante majorité des enfants de cadres à très grosses responsabilités, d’artistes ou de sportifs qui ont jadis connu une grande carrière. En somme, des jeunes adultes qui ont eu l’habitude de se côtoyer et connaissent donc les codes à appliquer pour s’intégrer et ainsi développer un réseau. Mais toi, Kameleon que tu es, tu ne connais pas tout ça. Encore une fois, tu vas devoir utiliser ton meilleur atout, celui qui fait de toi un être hors du commun : l’adaptabilité.

Que l’on soit clair, je ne cherche en aucun cas à vous passer une leçon de Bourdieu ou à mettre en porte-à-faux certaines catégories mais juste à vous apporter le témoignage de plusieurs personnes de banlieues dites « difficiles » l’ayant vécu.

Pour commencer, quand tu intègres ton école, la première chose qui va vraiment te montrer ce nouveau monde c’est le WEI (week-end d’intégration pour les intimes). Grosso modo, c’est un week-end où pour la grande majorité, les maîtres mots sont alcool, meuf/mec et alcool. Une tendance se fait de plus en plus récurrente ces dernières années avec l’apparition de guests comme Kaaris à Hec ou Vald à Audencia. Tout ça pour dire que lorsque tu ne bois pas, que ce soit par convictions religieuses ou morales, ce genre de divertissement « team-alcoholo-building » n’est pas pour toi. Des détracteurs pourront, à juste titre je l’entends bien, me reprocher mon manque de volonté à « m’intégrer ». Tout est une question de point de vue. Je vous le demande donc, vous payeriez 300 euros un week-end où vous êtes censé vous amuser et déconner si, au contraire, on vous interdisait de boire ? Je pense qu’on ne réalise pas à quel point l’alcool est un vecteur de sociabilité important et que ceux qui s’abstiennent doivent trouver d’autres chemins pour faire partie de ce nouveau petit monde.

Y-a-t-il des Kameleons dans ce WEI?

Tu viens donc de griller une cartouche pour te sociabiliser avec les autres. Pas grave, tu penses que tu auras d’autres occasions pour te refaire. Sauf que, lorsque les cours commencent, et que tu observes à une échelle plus réduite, une classe avec des différences culturelles aussi importantes, tu te demandes ce que tu fais là. Surtout que, et je ne l’apprends à personne, la comptabilité ou le marketing ne sont pas les sujets les plus excitants au monde pour entreprendre une discussion ou tisser du lien social avec Grégory de Paris 6 ou Rémi de Nevers…

La recherche de stage : le réseau, moi et les autres…

Un autre point essentiel aux Grandes Ecoles et qui illustre la nette différence entre un Kameleon et un héritier de la culture : la recherche de stages. Evidemment, un stage est un stage et il ne va pas déterminer de manière définitive ton avenir ; mais disons qu’il y’en a certains mieux que d’autres… C’est là que la touche « réseau » fait la différence. Quand toi, jeune banlieusard parisien, tu ne connais personne dans le domaine que tu cibles, ton réflexe est de postuler en ligne sur des plateformes connues du commun des mortels telles Indeed ou autre monster. Sauf qu’au bout d’un moment, t’en as un peu marre de ces messages automatiques qui vantent les qualités de ton CV où ton seul fait d’arme c’est d’avoir travaillé 3 ans au McDo de Porte Dorée mais qui au final est dans le regret de rejeter ta candidature..  .

Le désespoir, se fait de plus en plus important lorsque tu vois que les autres (les pas comme toi) ont déjà obtenu une proposition de stage ou au moins des entretiens parce que le frère de l’oncle du père du cousin connaissait quelqu’un dans l’entreprise. Qué lastíma !

La méritocratie à la française : Oui …mais est-ce suffisant ?…

Au-delà de cela, je parlais plus haut des codes à assimiler, cette recherche de stage en est la parfaite illustration. Je ne compte plus le nombre de « camarades de promo » que j’ai pu voir complètement bourré 99% de l’année et qui, le pourcent restant, sortaient leurs plus beaux costumes, la mèche et le sourire Colgate pour faire une énorme impression lors des forums entreprises. Et ce sont bien là les limites de la méritocratie : il est souvent martelé naïvement que le seul travail suffira mais la réalité est toute autre.

« Où sont les RH ? »

Malheureusement, tout ne s’apprend pas à l’école de la république. Quand le kameleon a passé son temps à faire consciencieusement ses devoirs depuis le CP (et seulement ses devoirs), certains de ses camarades d’école ont en plus eu accès à d’autres ressources extrascolaires. Celles-là mêmes qui créeront un lien entre l’élite et creusera un fossé culturel avec la base, celles-là même qui favoriseront la reproduction sociale en entreprise. Car oui, il ne faut pas se mentir, nous restons des êtres humains et quitte à s’ennuyer au boulot 10h par jour, autant que ce soit avec des collègues « comme nous ». Concrètement, quelqu’un qui n’a fait que du foot, voyageant tous les ans dans le même patelin aura plus de mal face à un autre ayant déjà voyage aux 4 coins du monde dans son enfance et ayant pratique 3 sports sans compter le théâtre. Oui j’exagère, le trait est grossi volontairement, même si en pratique, la réalité n’est pas si éloignée en grandes écoles et pour les cadres en entreprise.

Idem dans le sens inverse avec un fils de cadre voulant intégrer un BEP au lycée professionnel de La Tourelle à Sarcelles… Euhh en fait ça n’existe pas…L’environnement familial joue aussi beaucoup dans cette recherche de stage. Beaucoup de jeunes étudiants perdent leurs moyens dans ces évènements de networking, envahis par le stress et la peur de dire une bêtise face à « un gros poisson » qui n’est en réalité qu’un « mec en costume » sorti de l’école seulement 3 ans avant toi. Encore une fois, sans sombrer dans la dichotomie riches/pauvres, le rapport aux gens ne sera pas le même pour un élève dont le cercle des parents se limite à des ouvriers ou artisans, quand certains côtoient des cadres supérieurs depuis leurs plus tendre enfance. La différence de confiance en soi entre ces élèves est saisissante.

Les soirées du BDE…

BDE, BDA, BDS (bureau des étudiants, des arts, des sports), pour les plus téméraires la junior entreprise, où l’on découvre les prémices de la future direction d’une entreprise : cela vous dit quelque chose. Eh bien, ces bureaux se chargent d’organiser des évènements propres à leurs domaines au sein des grandes écoles. Dans la réalité le bureau des arts ne te fera pas faire des portraits impressionnistes comme ceux de Paul Signac ou Edgar Degas affichés au Musée d’Orsay. Tout comme le BDS ne va pas t’organiser un Super Bowl ou louer le Parc des Princes pour des évènements. Mais au final, un esprit d’entraide et d’appartenance apparaît dans ces associations où des liens forts se tissent à l’image des confréries présentes dans les facs américaines de la Ivy League (certains l’appelleront réseau encore une fois), des liens qui toi jeune Kameleon te dépassent parce qu’encore une fois le fossé culturel est trop important ou simplement parce que tu ne t’y retrouves pas. Surtout que certains (beaucoup ?) adhérents à ces « asso » peuvent avoir tendance à prendre leur fonction un peu trop au sérieux, ce qui peut être dur à assimiler pour une personne étrangère à ce monde.

Enfoncez les portes pour changer les mentalités : pourquoi pas nous ?

En synthèse, je voudrais que toi lecteur, tu ne te fasses pas de mauvaises idées sur ce que je veux exprimer à travers cet article. Non, je ne veux pas jouer dans le misérabilisme et crier tout haut tout fort que ceux qui ont la culture symbolique ou les classes aisées sont les méchants de l’histoire et que nous sommes les héros venus rétablir l’équilibre. Je souhaiterais cependant que ces derniers puissent voir plus loin que leur nez. En effet, si seulement 10% des étudiants se reconnaissent dans cet article, c’est bien parce que les classes populaires sont trop peu présentes dans ces écoles. Car si pour un parcours classique « intégrer une école » signifie réussir à y accéder, pour le reste il faut ensuite « s’y intégrer ». Pour autant, bien qu’il soit une exception à la règle, le Kameleon est un battant ! Il ne se cache pas derrière des excuses, d’ailleurs s’il est là avec toi dans ton école ou ton lieu de travail, c’est bien qu’il a su dépasser tout ça et se concentrer sur l’essentiel.

Je réfute également le fait que ce phénomène touche exclusivement les jeunes banlieusards de grandes métropoles. A ma grande surprise, j’ai tout de même rencontré quelques personnes, d’un horizon totalement différent du mien, mais avec le même mode de pensée et avec qui j’ai pu partager et me reconnaître dans certaines idées. C’est ce partage que je veux promouvoir, partage qui a eu lieu parce que des deux côtés il y a une volonté commune d’échanger et de s’ouvrir.

Enfin, je veux surtout que ceux pour qui je ressens un sentiment d’appartenance sociale, ceux de ma ville ou des villes voisines, comprennent que l’école ce n’est pas facile pour tout le monde, cela peut être parfois très exigeant mais malgré tous les arguments peu attractifs que j’ai cités jusqu’ici, si vous avez la possibilité d’avoir accès à ces écoles, allez-y.

La vie c’est pas un kiwi, et vous verrez que vous ne pourrez que sortir enrichi de ces expériences, avec une corde en plus à votre arc de Kaméleon, un cadre social et culturel différent que vous aurez assimilé. Vous aurez conservé ce qui vous a construit tout en apprenant des autres, dans la difficulté ou le plaisir, mais vous aurez appris…à vous adapter…à faire changer certains regards…à légitimer la présence des futures générations de Kameleons dans les inconscients collectifs. 

Ce jour arrivera où le cocktail « Kameleon + grandes écoles » ne relèvera plus de la bizarrerie ou de l’exception. Ce jour-là, les différences s’atténueront.

Utopiste ? Idéaliste ?… il faudra du temps mais ce jour arrivera, le « pourquoi pas moi ? » doit progressivement s’installer dans les têtes.

C’est aussi ça être un Kaméléon : Constater l’écart et agir pour le combler, le dépasser. Mesurer l’inégalité et travailler pour la résorber, sans jamais être dans la complainte, en jouant sur la force de sa volonté et en ayant confiance en son talent.

En attendant, donc, regardez les nombreux exemples autour de vous, respirez fort, et avec la sérénité des personnes aux objectifs clairs, enfoncez les portes !!!

Longue vie à vous !

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